Œcuménopole

2022

Œcuménopole

Aluminium gravé, peinture cuite, 36,5" x 36,5", 2022.

+ impression 3D PLA, acrylique, graphite

La ville est vivante, elle change, se transforme et grandit. Intimement liée à notre psychique nous la comparons souvent, sans surprises, à l’anatomie de l’humain. Nous parlons du «coeur» de la ville, du «centre névralgique» ou des «artères», et le marché, d’après le titre du roman d’Émile Zola, devient Le Ventre de Paris. Cela nous fait évidemment penser au néologisme que Guy Debord appela la psychogéographie. Par un désir de «réappropriation de l’espace urbain par l’imaginaire», les situationnistes aborderont de nombreuses réflexions en réponse à l’aliénation de l’urbanisme fonctionnel.

Malgré la déshumanisation que l’urbanisme fonctionnel ne cesse de produire dans nos villes, nous pouvons tout de même y trouver beaucoup d’humanité au niveau de sa société. La ville est territoire d’enjeux, de luttes, de pouvoirs et surtout de création. À l’intersection entre le passé, le présent et le futur, la ville est un maelstrom de vie, d’activités, mais aussi de chômage et de mort.

Nous la bâtissons sans repos et celle-ci nous renvoie constamment l’ascenseur en nous façonnant à son tour. Les processus sociaux et la forme qu’ils prennent dans l’espace sont intimement liés. En cela, lorsque nous modifions leur forme, nous changeons de même leurs structures sociales.

D’après Marshall McLuhan, le vêtement s’apparente comme une extension de notre peau. Ces «extensions» sont nombreuses; la roue, extension du pied, le livre, extension de l’oeil, l’électricité, extension du système nerveux. La ville serait donc, à mon sens, extension de l’Être. «La ville échappe en effet à tout discours, et reste inexplicable, gouffre des disciplines, toutes insuffisantes à appréhender la complexité de cette création humaine par excellence, de cet abri démesuré, lieu de l’Homme.» (Wittner, L. & Welzer-Lang, D.,1995). La ville est un miroir de ce que nous voulons être, mais dans une majorité des cas, nous ne savons pas, très peu ou sinon trop tard ce que nous désirons.

«Nous nous éparpillons, l’espace entre nous s’agrandit et en cela notre monde rejoint le principe de l’univers: expansion, refroidissement. Car l’espace c’est bel et bien du vide et dans ce vide il ne fait pas chaud» (Bouchard, S., 2019).

Nous avons, depuis longtemps, comparé les villes à des organismes vivants, des colonies de fourmis, des réseaux de rivières ou des écosystèmes. Mais aucune de ses analogies n’arrive à capturer l’essence réel du fonctionnement des villes. 

De façon plus poétique ou de l’ordre de l’imaginaire, la ville s’apparente, dans mon cas, à une étoile. Une force soudaine les fait apparaître au milieu de nulle part et par le fait même elles y attirent et consomment tout ce qu’elles entourent. Les étoiles comme les villes sont des lieux de haute densité dont les centres régissent leurs frontières. Elles s’amplifient, s’intensifient, prennent de l’envergure et se développent sans que rien ne les arrête. Plus elles sont grandes, plus elles attirent, et plus elles attirent, plus elles grandissent vite.

Cette analogie n’est pas pour autant réservée au monde de l’imaginaire et de la poétique. Luis Bettencourt, professeur d’écologie et d’évolution à l’Université de Chicago et professeur externe de systèmes complexes au Santa Fe Institute, propose justement, dans une recherche de 2013, une analogie scientifique de la ville comme étant un réacteur social. Comme abordé en début de texte la ville est fréquemment comparée à un organisme vivant, mais lorsque l’on s’attarde plus profondément à cette comparaison elle devient quelque peu problématique. Car l’organisme vivant qui grossit a tendance à ralentir son métabolisme et ces efforts. Cette tendance peut être comprise comme un besoin de sauvegarde d’énergie, plus un mammifère est gros, plus il est lent. La ville, elle, ne semble pas se comporter ainsi. En fait, la ville est très peu efficace au niveau de son économie énergie et bien que de nombreux groupes se penchent sur la question de sa durabilité, celle-ci est, depuis toujours, bâtie pour créer et consommer l’énergie. Dans ce sens, la ville se retrouve plutôt comme contraire de l’organisme, elle attire et concentre l’énergie ainsi qu’elle accélère nos occupations et nos interactions. 

Lorsque la ville évolue, elle change aussi notre perception de l’espace-temps. Par exemple, à l’arrivée du métro à Montréal en 1966, il devenait beaucoup plus rapide de se déplacer entre Jean-Talon et le centre-ville qu’auparavant. Ce changement nous donne aussi l’impression de proximité, le centre-ville semble bien plus proche aujourd’hui pourtant il n’a pas bougé. 

La ville est dense et difficilement explicable, elle est remplie de nuances dont personne n’en fait la même lecture. La ville nous projette dans le futur et le passé, la ville évolue au même rythme que nous. La ville est une étoile et que serions nous sans les étoiles qui nous ont montré le chemin durant tant d’années?

«Même le récit est trop rigide pour rendre compte de la densité fractale de la ville. Reste la poésie qui joue en lieu et en forme avec la forme du lieu» (Wittner, L. & Welzer-Lang, D.,1995).

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